Passé les bornes, y a plus de limites » : notre époque semble avoir pris au pied de la lettre ce mot d’esprit d’Alphonse Allais (1854-1905). L’injonction est partout de « repousser ses limites », « faire bouger les lignes », « se dépasser ». L’illimité est une promesse ; la limite une provocation, un défi que la science est appelée à relever. Le regard se porte à l’infini, aux confins, vers un homme augmenté pour un destin qu’une vie seule ne semble plus apte à contenir. Pourtant la limite n’est-elle pas aussi inéluctable que nécessaire ? Nous avons besoin de limites pour ordonner, structurer nos espaces, nos actions. Une fois reconnues les bornes, là où l’on ne peut pas aller, cette limite acceptée, respectée, contribue à ce qu’adviennent créativité et inventivité.
La limite en tant que frontière nous aide à penser : « On doit échapper à l'alternative du dehors et du dedans… La critique, c'est l'analyse des limites et la réflexion sur elles. » Cette posture énoncée par Michel Foucault est particulièrement pertinente dans l’exercice de la psychiatrie, discipline médicale singulière qui questionne la notion de « limite » à bien des égards. Frontière ou continuum entre le normal et le pathologique ? Existerait-il des bornes, des seuils, des barrières entre santé mentale et contrôle social, voire contrôle de l’ordre public ? Troubles, dysfonctionnement, désordre, pathologie, handicap… comment construire une nosographie quand les repères sont mouvants, fonction de la norme et des valeurs ambiantes ou même des attentes sociales ? Que nous disent ceux qui se tiennent aux limites, qui ne semblent plus les percevoir, ou qui délibérément les transgressent ? Sont-ils tous des « patients » ? La limite est aussi réalité tangible : les murs de l’institution, de l’hôpital qui, en délimitant physiquement une aire géographique, marquent un espace de soins. Mais ils définissent aussi des territoires plus symboliques qui renvoient à l’exclusion, à l’entrave faite à la liberté de circuler. Toutes ces questions interrogent profondément notre pratique et la mettent parfois en tension jusqu’à l’inconfort. Qui n’a pas ressenti dans une institution, dans une situation complexe, ses propres limites ? Voire que son action était « limite » ?
La vocation de ce colloque est d’inviter à une réflexion pluridisciplinaire visant à éclairer les enjeux éthiques des limites, tant au niveau de la clinique singulière que des actions institutionnelles et sociétales.